blog data letempsSuite de l’interview de Jean Abbiateci, datajournaliste au Temps. Il explique pourquoi le Temps développe le datajournalisme, il parle de l’équipe data & multimédia, il raconte comment il lance des projets avec les journalistes de tous les services…

 

Pourquoi Le Temps veut-il développer la data ?

 

Si je peux me permettre, je pense que c’est une mauvaise question. D’abord, je ne sais pas ce que c’est que la “data”. Ensuite, je crois que le lecteur se fiche du “datajournalisme”, mais vraiment. Tu as déjà entendu un de tes lecteurs te dirent : “Super, vous faites du datajournalisme ?”. Le datajournalisme, c’est de la cuisine interne, c’est très chouette pour briller dans les conférences professionnelles ou devant des étudiants en journalisme, mais ce n’est qu’un moyen. Ce que veut le lecteur, c’est du bon journalisme et des bonnes histoires. Et il se trouve que ces histoires peuvent se trouver dans les données. Et il faut des gens capables de faire ça.

Mais pour tenter de répondre à ta question, je pense qu’il y a plusieurs raisons à l’intérêt de la rédaction en chef  : un vrai intérêt, sans doute un effet de mode aussi . Enfin, et c’est à mon avis le véritable levier, la comparaison avec la concurrence : en Suisse romande ou surtout en Suisse Alémanique, les journaux ont développé des équipes dédiées, comme a pu le faire avec une grande réussite de la NZZ. Globalement, notamment en Suisse Alémanique, je trouve les rédactions plus en avance qu’en France, ou le travail du Monde par exemple est un peu l’arbre qui cache la forêt.

Combien de personnes travaillent à l’équipe data et multimédia ?

 

On est 7 développeurs, 7 graphiques, 3 designers, 7 journalistes… Non, je plaisante, en fait, je suis le seul à réellement travailler à plein temps, mais mon collègue Medhi Atmani est très impliqué et qui a la paternité de Data Le Temps. Il avait déjà initié plusieurs projets auparavant.. Il y a deux infographistes à temps partiel qui codent un peu et fond de la vidéo, mais qui s’occupent également de la vidéo et qui bossent uniquement sur des sujets de commande.

Le plus important, pour moi, c’est l’écosystème de journalistes autour. Il y a plusieurs très bons journalistes, très “data-compatibles”, qui techniquement n’ont pas de compétences particulières, mais qui comprennent très bien ce que le travail des données peut apporter au journalisme d’investigation. On a déjà mené quelques enquêtes dans ce sens, je pense qu’on peut aller très loin la dessus. Moi, en tout cas, c’est la dessus que j’ai envie de mettre l’accent.

Comment fonctionnez-vous ? Assistes-tu à toutes les réunions de rédaction ? D’où viennent les projets : de toi, de collègues, de services ?

 

Personnellement, j’essaye d’assister au briefing chaque début de semaine, même si j’avoue avoir sécher les trois derniers 😉 Mais je pense que le plus important, c’est avant  tout de tisser des liens confiances avec les journalistes et les chefs de rubriques, et d’essayer d’anticiper un peu l’agenda, ce qui n’est pas évident pour le Français que je suis, encore peu au fait de la vie, notamment politique, de la Suisse. Mais ça va venir… Comme je te disais, je viens beaucoup avec des propositions, et j’essaie de rebondir sur celle des collègues, en essayant de transformer le “tu sais, on pourrait faire un truc où l’on clique” en un projet éditorial qui ait du sens.

Après, dans l’organisation, j’essaye de forcer ma nature bordélique, en structurant bien l’échéancier de nos projets. J’essaye aussi de bien dimensionner les projets par rapport à leur importance pour nos lecteurs.

blog data cyberjihadJe me rends compte que j’ai essayé de changer mes méthodes de travail : je pense moins “projet éditoriaux” que “outils et maquette”. On a développé une série de templates en code (quiz, scrolling map, cartes, long format…) qu’on essaye de réutiliser le plus souvent possible.  A chaque nouveau projet, je me dis : est-ce qu’il n’y pas une de nos maquettes de code qu’on puisse réutiliser ? Et si non, le temps consacré au développement d’un nouveau format est-il justifié et pourra-t-il être réutilisé après ?

Par exemple, on a un format de scroll cartographique, qu’on a déjà réutilisé deux fois.  On a également un outil qu’on a développé depuis trois mois, basé sur la NPR, et qui nous permet de fabriquer un long format en une demi-heure (sans compter bien évidemment le travail journalistique derrière) depuis un Google Doc. Il s’agit en fait d’industrialiser un peu la production multimédia, pour le pas faire des one-shots une fois par an.

Lancer des comptes twitter et FB spécifiques, c’est ton idée ? Quel est le but ?

 

Alors, je ne sais pas si en 2014, lancer un compte Twitter et une page Facebook. c’est très novateur 😉  Plus sérieusement, cela a plusieurs objectifs : de la diffusion bien entendu, mais surtout de fédérer une communauté, entre confrères, entre acteurs du monde de la data. Et de faire de la veille avec les confrères suisses : je trouve sympa de partager mutuellement le travail de nos concurrents.

Quel est l’intérêt de partager les modes d’emploi de vos enquêtes ?

 

Alors, là aussi plusieurs raisons : d’abord, le making-of, c’est un truc que je faisais régulièrement, comme toi d’ailleurs, sur mon blog depuis toujours. : c’est de l’ordre du réflexe. Ensuite, ça permet d’expliquer nos choix, parce que travailler avec des données n’a rien d’objectif, on fait des choix qu’ils faut assumer et expliquer.

blog data jasminaAprès, ça ouvre aussi des perspectives inattendues. En novembre, avec ma consoeur Julie Conti, nous avons publié une enquête  sur Airbnb à Genève, en s’appuyant sur le scraping des données. On montrait notamment comment une certaine Jasmina était la baronne d’Airbnb sur Genève, avec 120 appartements sous sa gérance.

J’ai rédigé un making-of que je pensais intéressant pour quelques personnes. Il a eu un gros succès, mais c’est le fait que beaucoup de confrères se soient emparer de ce making-of pour enquêter sur leur zone qui m’a surpris. Un ancien de Rue89 l’a fait sur Paris, le Soir et l’Echo sur Bruxelles ainsi  Rue89 Strasbourg et Nice Matin l’ont fait. C’est à la fois assez flatteur, mais ça ouvre surtout tout un tas de perspectives pour mener des enquêtes croisées à l’avenir.