blog salauds de pauvres 3J’ai connu Patrick Severin lorsqu’il bossait à l’Avenir. On a même eu l’occasion de se côtoyer à la rédaction de l’Avenir Huy-Waremme où il s’occupait des pages sportives. Puis Patrick a fait son bout de chemin. En octobre, avec sa boîte de production, Instants Productions, il a été primé au Liège Web Fest pour son projet transmédia #salaudsdepauvres, sur la mendicité à Bruxelles. Un projet qui a aussi rencontré un grand succès sur le web.

Je suis revenu avec lui sur ce projet transmédia. L’occasion d’aborder la genèse, de discuter de la déclinaison que Patrick voulait donner à #salaudsdepauvres, de sa méfiance envers les webdocs, de parler du temps de préparation et du reportage sur le terrain. On a discuté de tout cela à la maison, autour d’un café et d’une tartine de choco. Finalement, je me suis retrouvé avec une interview tellement dense et intéressante que, comme avec Jean, j’ai décidé de la scinder en deux. Voici la première partie. Embarquez avec nous sur les trottoirs de Bruxelles.

Comment s’est monté ce webdoc sur la pauvreté ? Une commande, une initiative, un appel à projets ?

C’est un appel à projets du « Forum Bruxellois de Lutte contre la Pauvreté » avec pour thème la mendicité à Bruxelles. Cela devait se présenter sous forme de webdoc et il y avait 15 000 euros de budget.

Chez Instants Productions, cela nous intéressait mais pas sous la forme d’un webdoc. Les webdocs, c’est très bien, très beau mais personne ne regarde. Nous avons donc proposé un projet transmédia et on est allé chercher deux fois plus de budget.

 Le transmédia permet de multiplier les portes d’entrée et les supports : web, radio, papier… Où que tu sois, tu peux être atteint par le documentaire.

Pourquoi veux-tu différencier webdoc et transmédia ?

Un jour, je me suis rendu compte que j’étais passionné de webdocs mais que je n’avais jamais passé plus de 10 minutes sur un. Aucun n’a fonctionné sur moi. Je me suis donc interrogé sur l’utilisation et sur ce qui intéresse les utilisateurs. Je trouve que les webdocs ont souvent l’apparence d’un bonus DVD ou d’un mauvais jeu vidéo, laissant à chacun le soin d’être aux commandes du récit. Pour moi, le webdoc touche des public de niche. Perso, je veux toucher ce qu’on appelle le grand public.

Le transmédia permet de multiplier les portes d’entrée et les supports : web, radio, papier… Où que tu sois, tu peux être atteint par le documentaire. Nous avions déjà l’expérience avec notre projet « Bénévoles » : les gens suivent l’histoire dans leur mode de consommation habituel. Pour #SALAUDSDEPAUVRES, le web n’est qu’une partie du documentaire, c’est une œuvre collective.

La mise en plan d’un tel projet paraît plus compliqué qu’un « webdoc classique »…

C’est un exercice périlleux que de parler à plusieurs voix.
Pour la partie web, on a réalisé le travail de terrain. Nous avons dès lors mis notre matière à dispostion et renseigné « nos bons acteurs » aux autres membres du projet en se disant que cela allait les intéresser, que ce soit en radio (Jérôme Durant de VivaCité), en télévision (Stéphanie Triest de TéléBruxelles ou dans la presse (agence Alter et Elodie Blogie pour Le Soir).

Tu dis que tu as doublé le budget. Comment ?

Avec 15 000 euros, on faisait du fond ou de la forme mais pas les deux. Nous avons donc sollicité avec succès le Fonds pour le journalisme et le Centre du cinéma.

Pour l’aspect formel, j’ai travaillé une nouvelle fois avec l’équipe de Noomia, un studio web basé à Liège. Ce qui me plaît avec eux c’est qu’ils entrent pleinement dans la démarche de créatifs.

blog salauds de pauvres 1#SALAUDSDEPAUVRES a été séquencé et présenté en plusieurs jours. Quelle était l’idée ?

La diffusion s’est déroulé sur une semaine complète qui se terminait par la journée mondiale de lutte contre la pauvreté. Dès le début, nous voulions 5 angles différents pour diffuser un chapitre chaque jour, du lundi au vendredi.

Cela permet de revenir dans le fil d’actu des médias et qu’ils parlent à nouveau du projet. J’appelle ça la technique du couteau suisse. Tu sais, quand on bosse avec peu de budget, il faut chercher des petits trucs pour rendre son travail visible.

Par rapport à notre approche, ce n’est pas vraiment une analyse de la mendicité, ni une enquête. Nous avons listé les questions qu’on se posait sur le sujet. Je pense qu’on est tous égaux face à la mendicité, ce n’est pas un sujet tranché.

Chaque séquence est elle-même présentée en plusieurs chapitres. Pourquoi ?

Cette structuration à plusieurs niveaux de lecture permet de regarder chaque séquence en 7 minutes ou en une heure, si on veut avoir plus de détails.

Combien de temps ont pris la préparation et le repérage ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’approche a été facile. C’est juste avec les Roms que ce fut plus compliqué.
Au début, nous allions trouver les personnes, accompagnés par des travailleurs sociaux pour nous introduire. Dans la rue, les gens souffrent de la misère et de la solitude. Ils étaient intéressés qu’on vienne à leur rencontre, qu’on leur dise que leur histoire nous intéresse.

Le travail de terrain a duré 3 mois (étalés, bien entendu), nous avons rencontré 30 mendiants et 17 témoins. Et ça, peu de journalistes peuvent se le permettre aujourd’hui.

 Le 10 octobre, c’est dans la salle du Liège Web Fest que j’ai visionné le projet fini, on venait de me l’envoyer via wetransfer et je devais le présenter publiquement le soir-même.

Combien de temps a duré le projet ?

Nous avons rencontré les responsables en avril et le projet devait être prêt pour octobre.

Ce fut chaud, on a réalisé le dernier entretien le 1er septembre, or le terrain aurait dû être terminé en juin. On avait lancé la post-production alors qu’on était toujours occupés à accumuler la matière.  Je me suis retrouvé face à une énorme quantité de sons et d’images, j’ai dû tailler dedans. J’ai fait une présélection de photos, ça m’a servi de storyboard pour la structuration du récit. Je jouais avec les pièces comme un puzzle.

Le 10 octobre, c’est dans la salle du Liège Web Fest que j’ai visionné le projet fini, on venait de me l’envoyer via wetransfer et je devais le présenter publiquement le soir-même.

Combien de personnes ont travaillé sur ce projet ?

7 : deux sur le terrain, un ingé son, un monteur, trois membres du studio Noomia et un motion designer du studio Limonade.

Connais-tu les chiffres de fréquentation ?

Il y a eu 35 000 visiteurs uniques sur une semaine. Nous sommes aujourd’hui à 45 000.

45% des personnes ont navigué avec Chrome. Or, la version Chrome plantait systématiquement jusqu’à la veille du lancement.

C’est la première fois que je vois revenir à tel point un de mes projets via facebook. Je me suis dit : « Là, il se passe un truc. » Quand tu sais d’habitude à quel point c’est difficile de faire la promo sur facebook…

blog salauds de pauvres 6+ Dans la deuxième partie de l’interview, Patrick expliquera son choix pour les photos (et non la vidéo), il reviendra aussi sur le fait que #salaudsdepauvres est son propre support, en dehors d’un univers média classique, enfin, il dévoilera son projet d’ espace de coworking orienté transmédia qu’il va ouvrir en 2015 au sein d’Instants Productions.