Cela fait plusieurs mois que je suis l’opération #AlertePollution lancée par Franceinfo. J’aime l’idée de demander aux internautes de signaler des histoires locales, de se nourrir de ces témoignages, de montrer qu’ils ont toute leur place dans un dispostif qui permet de montrer ce qui est moins connu, voire inconnu. Mais j’imagine bien toute les difficultés derrières cette opération. Pour en savoir plus, Thomas Baïetto a accepté de prendre le temps pour répondre à une quinzaine de questions. Thomas est journaliste à FranceInfo et fait partie du petit groupe de journalistes qui a participé à l’opération #AlertePollution.

Si vous n’avez pas beaucoup de temps, voici ce qu’il faut retenir:
En décembre 2018, Franceinfo a lancé l’opération #AlertePollution
Au 18 novembre 2019, l’équipe en charge du projet a reçu 4 606 signalements.
Depuis le début de l’opération, #AlertePollution a permis de produire 27 contenus (articles, cartes ou sujet TV).
Ce procédé participatif a permis de nouer des relations de qualité avec chacun des témoins.
Le projet #MonMaire est directement inspiré d’#AlertePollution

Thomas Baïetto, d’où est-venue l’idée de l’opération #AlertePollution ?

L’idée est venue pendant une réunion de préparation de la Cop24. Nous avions déjà testé plusieurs formats participatifs, comme pour le 11 novembre, mais jamais de cette ampleur. Nous nous sommes dit que la Cop, même si elle n’est pas directement liée à nos sujets de pollution, était une bonne occasion de lancer ce type d’opération.  

À Franceinfo, combien de journalistes travaillent à cette opération ?

Personne ne travaille à plein temps sur cette opération. Nous nous relayons, pour qu’il y ait toujours (hors période de vacances ou d’actu chargée) un ou deux journalistes dessus, avec un chef pour encadrer. Au total, sept personnes différentes ont signé des articles #AlertePollution.

Vous avez utilisé un Google Form pour collecter les signalements. Avez-vous hésité avec d’autres alternatives (développement maison, autre programme…) ?

Le choix du Google Form s’est assez vite imposé. Nous avions déjà testé d’autres méthodes (adresse mail, notre live) mais le résultat n’était pas très satisfaisant. Nous n’avions pas non plus suffisamment de temps entre la validation de l’idée et le lancement pour développer un outil maison. 

Lancée en décembre 2018, l’opération est toujours en cours. Comment faites-vous pour faire durer l’intérêt et l’attention des internautes sur votre appel ?

L’intérêt pour l’opération est maintenu par deux moyens : la publication régulière de contenus (le dernier mi-octobre) et la présence d’un encadré en tête de tous nos articles environnement proposant aux internautes de nous faire un signalement.  

Combien de signalements avez-vous déjà reçus ? Est-ce au-deçà ou au-delà de ce que vous espériez ?

Au 18 novembre, nous avions reçu 4 606 signalements. Nous avons été un peu surpris par l’ampleur des réponses (1 000 en 48 heures), puis par le fait qu’il continue d’en arriver tous les jours, même si le rythme a naturellement ralenti.

Qui s’occupe de la validation des signalements et comment procédez-vous (travail avec des rédactions régionales, travail avec des archives de presse locale…) ? Vous êtes-vous fixés un temps limité à consacrer à chaque validation ?

Tous les signalements sont lus par les journalistes staffés sur le sujet. Nous choisissons les sujets que nous traiterons en fonction de plusieurs critères : intérêt général, qualité du témoignage, médiatisation ou non du sujet, type de sujet. Par exemple, si nous avons déjà fait un sujet pollution d’une rivière par une industrie, nous n’allons pas en refaire un second sauf si la pollution est de grande ampleur.

Sur les signalements reçus, combien ont été exploités, sous forme d’un reportage, article… ?

Depuis le début de l’opération, nous avons produit 27 contenus (articles, cartes ou sujet TV). Cela peut paraître faible au vu du nombre de signalements, mais il faut bien avoir en tête que certains sujets (comme cette enquête sur les sites pollués ou celle-ci sur les villages industriels) prennent du temps, que des articles ont été bâtis avec plusieurs témoignages sur le même thème et que les signalements se répètent parfois. Il y a par exemple plus de soixante témoignages sur le problème des poussières rouges à Gardanne. D’autres thématiques, comme celles des pesticides, ont été traitées en dehors de l’opération #AlertePollution. 

Est-ce que tous les sujets signalés et validés ont pu être traités par les rédactions ? Avec cette question, j’aborde finalement la difficulté, parfois, de débarquer dans l’agenda des rédactions avec des sujets pour lesquels les rédactions vont devoir débloquer des moyens humains pour couvrir un événement au détriment d’un autre.

Tous les sujets sélectionnés n’ont pas encore donné lieu à un article. Nous ne pouvons évidemment pas tout faire avec le dispositif humain qui est le nôtre. C’est l’une des frustrations de cette opération, mais elle est inévitable.

Les signalements portent-ils tous sur de nouveaux dossiers de pollution ? Ou vous vous êtes retrouvés avec des cas déjà connus ?

Non. Nous avons reçu de nombreux signalements sur des cas bien connus, comme les poussières rouges de Gardanne, l’usine Wipelec de Romainville, ou l’incendie de Lubrizol. Parfois, le dossier avait été traité localement, mais il n’y avait rien eu sur le plan national (la prison de Clairvaux).

Mais cela nous a permis de constater que les promesses gouvernementales n’avaient pas été tenues à Gardanne, de placer l’usine Wipelec dans le contexte plus global des entreprises qui ne dépolluent pas derrière elles ou d’avoir des témoignages de grande qualité parmi la population de Rouen.

Assurez-vous un suivi des signalements ? J’entends par là : est-ce que vous assurez un service après-vente auprès des personnes qui vous ont contactés  (exemple: merci pour votre message, voici ce que nous avons trouvé)

Non, il n’y a rien d’automatique. Seules les personnes dont le signalement va faire l’objet d’un article sont recontactées.

Et je rebondis sur la question précédente : est-ce qu’autour de #alertepollution, une communauté s’est créée (personnes, associations…) ?

On ne peut pas parler de communauté, mais ce procédé participatif nous a permis de nouer des relations de qualité avec chacun des témoins.

L’opération a-t-elle évolué au fil de ces 11 mois déjà écoulés ?

Elle n’a pas évolué sur le fond ou la forme. La seule différence, c’est que nous y avons consacré plus de ressources humaines au départ, avant d’adopter un rythme de croisière plus léger pour le fonctionnement de la rédaction.

Quel est le sujet dont tu es le plus satisfait ?

Le sujet le plus réussi est celui des téléphones Garfield. A partir de cette histoire en apparence anecdotique, nous avons publié une enquête sur la pollution des conteneurs perdus en mer, pour donner du contexte et du fond à cette problématique. L’article initial a été énormément repris dans la presse française, au point de délier la langue d’un habitant qui connaissait la source de cette pollution et n’avait rien dit pendant des années. La résolution de l’histoire a entraîné encore plus de reprises, dans la presse international cette fois-ci : New York Times, Washington Post, BBC, jusqu’à des médias japonais ou néo-zélandais. Pour la petite histoire, une habitante de ce coin de Bretagne a appris l’affaire par son fils, expatrié aux Etats-Unis qui l’avait lu dans le Los Angeles Times.

Quelle est la principale difficulté que vous avez rencontrée ?

Il n’est pas toujours simple de juger la valeur d’un témoignage. Nous sommes sans doute passés à côté de certains sujets parce que le signalement était trop succinct, mal présenté… Nous avons aussi parfois du mal à établir un lien de causalité entre la pollution et ses conséquences sur la santé des habitants, parfois fantasmées. Enfin, l’Etat et les industriels sont en général très frileux sur ces questions environnementales.

Quels sont les principaux enseignements que tu peux déjà tirer de cette opération ?

Pour nous, cette opération démontre que lorsque l’on donne un peu de place au lecteur dans l’élaboration de l’information, il la prend et le résultat est bénéfique pour lui comme pour nous. #AlertePollution nous a permis de trouver des portes d’entrée personnelle, à hauteur d’hommes, sur des sujets arides complexes. Nous avons pu, par ce biais, créer un lien fort et de confiance avec nos lecteurs et faire bouger quelques lignes.

Est-ce que #AlertePollution a joué un rôle dans le lancement de l’opération #MonMaire ?

Oui. Ce projet est directement inspiré d’#AlertePollution. Nous pensons que le participatif est un bon outil pour aborder les élections municipales de manière originale, concrète et proche de nos lecteurs.