Titre de presse régional en Belgique francophone, la rédaction de L’Avenir expérimente régulièrement des formats originaux (une série basée sur un WhatsApp fictif, un jeu mêlant connaissances de bière et géographie wallonne…) pour raconter, décrypter l’actualité grâce à la mise en place d’un weblab en 2017, soit une équipe de journaliste épaulée par un développeur.

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Au cœur de l’été 2023, le weblab a ainsi mis en ligne un ambitieux jeu informatif (newsgame) proposant aux internautes d’enfiler les bottes d’une agricultrice ou d’un agriculteur pour mieux comprendre / saisir la réalité d’un métier au cœur de profonds changements alors que le nombre de fermes a diminué de près de 50 % ces 30 dernières années.

« Dans les bottes d’un agriculteur » n’est pas le premier newsgame créé et lancé par le weblab. Avec Thomas Bernard, nous avions déjà proposé « Dans la peau d’un bourgmestre » en 2018 dans le cadre de la couverture des élections communales (municipales).

Succès en termes d’audience et de notoriété, ce jeu informatif s’était basé sur mon expérience emmagasinée au fil de mes années dans une rédaction (agence) locale où je couvrais notamment la vie politique.

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L’idée d’un jeu pour faire comprendre le monde agricole est antérieure et avait failli voir le jour… avant que le covid ne balaie tout sur son passage. Mais le projet était bien plus complexe tant sur la forme que sur le fond.

Sur le fond : il faut tenter de faire comprendre au grand public un secteur qui offre de nombreux visages, avec une multitude de problématiques, en évitant la caricature.

Sur la forme : là où le jeu du bourgmestre compte 6 problématiques, le scénario pour l’agriculture recense plus de 50 problématiques, avec des témoignages vidéo.

Vous comprenez que la clé pour réussir ce projet était d’être épaulé (experts, agriculteurs) et de pouvoir dégager du temps.

En Belgique francophone, le Fonds pour le journalisme offre des bourses pour permettre aux journalistes et rédactions de prendre le temps d’investiguer, de creuser, de mener des reportages de terrain.  La constitution d’un dossier est un passage obligé afin que le jury puisse statuer sur la recevabilité de la demande.  Au-delà de l’aspect « administratif » de la chose (estimer les heures, chiffrer les montants…), l’exercice permet de coucher le projet noir sur blanc, de l’affiner, de cerner en quoi il est susceptible de répondre aux interrogations du public cible et ce que va permettre l’aide financière du Fonds.

Sillonner la campagne avec un bloc note et un tableur

Grâce à l’apport du Fonds, nous avons pu travailler différemment. Plutôt que de débarquer caméra au poing pour filmer des témoignages, nous avons d’abord rencontré une série d’acteurs pour construire avec eux le scénario. Thématiques, choix des questions, des réponses, conséquences…

À la place d’un appareil photo ou d’une caméra, nous avons sillonné les campagnes wallonnes avec calepin et surtout tableur reprenant notre scénario. Au fil des rencontres, c’étaient des lignes qui s’ajoutaient, se modifiaient ou étaient purement supprimées.  Avec ce tableur s’est développé une relation d’amour-haine. Pensez : être assez fou pour croire qu’on peut tenter de cerner une problématique protéiforme en lignes et colonnes… Jamais au cours de ma carrière, je n’ai eu autant l’impression que nous allions être balayés par la vague de notre (trop grande ?) ambition. L’avantage d’être à deux aux commandes, c’est de pouvoir se rassurer mutuellement quand l’un est dans le creux. Un sentiment que d’autres journalistes ayant sollicité le Fonds ont déjà connu aussi, me glissait un jour Jean-Pierre Borloo, coordinateur de la structure.

« Je n’étais pas certaine de vouloir vous parler »

Ces rencontres préliminaires sont loin d’être un luxe : le mode agricole n’a pas toujours envie d’échanger avec la presse (jugée caricaturale…). On entre sur la pointe des pieds et des mises en relation sont parfois nécessaires. « Je n’étais pas certaine de vouloir vous parler », nous déclarait ainsi une agricultrice après plus d’une heure de rencontre.

Il y a aussi eu des allers-retours pour affiner et nous en profitions pour montrer l’évolution du travail. Mais ce n’est vraiment que lorsque nous avons eu une version béta du jeu à montrer que nos interlocuteurs ont réellement compris le projet. C’est aussi à partir de ce moment que nous avons pu tester les premières réactions aux questions. À chaque fois, l’estomac était noué lorsque nos interlocuteurs découvraient les questions / réponses finales… Parfois, le temps était suspendu, nous scrutions les visages…

Ces échanges nous ont non seulement permis d’être rassuré sur le fond (la crainte d’être jugé caricatural s’éloignant) mais aussi d’aborder la question des témoignages vidéo plus facilement. Ce fut même la partie la plus aisée à mettre en place, avec un vrai gain de temps au final.

Mettre en place une méthodologie particulière

Pour réaliser ce newsgame, nous devions avancer sur plusieurs fronts à la fois : le scénario, l’aspect visuel et la mécanique.

L’apport de la FWA et de la Fugea a été considérable. Sans le soutien de ces 2 syndicats, le jeu n’aurait probablement pas pu voir le jour. Grâce à eux, nous avons pu approfondir des thématiques, réfléchir aux différents cas de figure et à leur formulation… Tout cela a impliqué plusieurs rencontres, pendant ce temps, l’équipe des graphistes de la rédaction concevait le visuel pour chaque problématique. Le tout devant être progressivement intégré dans le jeu. Un tableur nous permettait de suivre l’itération de la cinquantaine de cas de figure.

N’hésitez pas à découvrir notre jeu, il est en accès libre : https://redaction.lavenir.net/agriculteur-jeu